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Les Temps Virtuels
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24 août 2010

Essaye-Moi (Pierre-Francois Martin-Laval 2005): La Passion de l'Epreuve

 

essaye_moi

 

 

 

 

Afin de déjouer les penchants suicidaires de son étrange et très amoureux copain ,Yves Marie Borelli, 9 ans, dont elle vient de rejeter la proposition en mariage; Jacqueline même âge, lui promet de l'épouser “le jour où il ira dans les étoiles” “juré craché”. Quand Yves Marie (Pierre-Francois Martin-Laval), devenu cosmonaute, revient 24 ans 3 mois,7 jours, 5 heures et 10 secondes plus tard, pour réclamer la main de sa promise (Julie Depardieu), celle-ci a tout oublié de sa promesse et l'enjoint d'en faire autant. Mais le guguss de 34+ans, qui n'en démors pas, a de la suite dans les idées : une pomme tombe d'un arbre (en premier plan) lui rappellant le “Il faut goûter avant de dire non” de Jacqueline ( 9ans) et lui propose un marché:

 

 

cap011Y.M.:T'as qu'à m'essayer, Jacqueline, et tu verras bien si je suis l'homme de ta vie. Moi chwi sûr que tu me va et toi tu sauras si j' te vais.

J.: T'es pas un pantalon.

Y.M.: Il faut goûter avant de dire non! C'est toi qui m' l'a appris. Tu m'essayes et si je n' suis pas bon tu me recraches. [Il n'est pas un pantalon, il est devenu la pomme: de Guillaume Tell ou d'Adam?]

 

 

Quel mal j'ai eu à me souvenir de cette phrase: “il faut goûter avant de dire non”.

Mais ca n'a aucun sens! ca ne veut rien dire. Pourquoi goûter si de toutes façons on va dire non? Dit-on oui en goûtant à défaut de dire non? Est-ce qu'on dit non sous réserve de goûter ? Pourquoi pas “ il faut goûter avant de se prononcer pour un oui ou pour un non ou un je ne sais pas, comme dans les sondages?”

 

En fait Yves Marie a sorti cette phrase de son contexte et l'a transposée dans le contexte amoureux en lui donnant une nouvelle dimension. Il a complètement négligé que Jacqueline faisait sa commandante (comme dirait ma fille) en imposant une pomme à son camarade qui “ne mange pas de fruit naturels”. [Bien sûr il mange des fruits en plastique. A ce nonsense Jacqueline (9ans) répond par le nonsense, seul language que Yves Marie peut comprendre]. Pourtant, sous ses airs de (pré) ado génie attardé, qui n'est pas sans rappeler l'Albatros de Baudelaire à la sauce burlesque, Yves Marie met le doigt sur un aspect généralisé de la vie contemporaine : le tout-à-l'essai.

 

test_driveD'ailleurs la philosophe Avital Ronell a justement consacré une étude à cette propension à l'essai, à l'experimentation, à l'examen, au test, à l'épreuve, en tous genres, dans son livre Test Drive. La Passion de l'Epreuve. Bien que je n'ai pas encore fini de lire ce livre en entier [google.books ne présentant que peu d'extraits, respect du copyright. Respect], si je le signale tout de même, [j'ai l'intention de le finir], c'est parce j'ai l'intuition qu'Essaye-moi peut constituer une variation sur le thème contemporain de cette passion de l'épreuve, d'où le titre de mon essai. [Pour l'instant, je ne peux que dire ce que m'évoque le test drive en rapport avec le film. Je m'essaye donc à faire de l'experimentation en matière d'essai ou je n'ai pas encore vérifié mon intuition par la rencontre intégrale avec ce livre critique. Ça peut parraître un peu prétentieux ou pire encore, de la malhonêteté intelectuelle. Néanmoins, pour ma défense, il y a de ma part une sorte de volonté ludique d'écrire un petit essai en ignorance partielle de cette source tout en y faisant référence. Et puis, c'est mon blog, le blog étant le lieu ,post-moderne, de l'experimentation en écriture, entre autres, par excellence. C'est aussi un petit jeu qui s'apparente à la sérendipité ,qui consiste à voir dans des rencontres (apparemment) de hasard, dans les coincidences, des rencontres providentielles. Ronell et Pef ça doit faire une sacrée rencontre!]

 

Dans le registre du marketing le test drive est un procédé marketing qui consiste à essayer un produit pour en donner un avant-goût afin d'allécher les consommateurs, mais sans obligation d'achat (le titre du livre de Ronell semble être un jeu de mot entre 'drive' traduit par pulsion en français, et test drive, cette technique marketing). En apparence, tous les risques sont du côte du vendeur, du prestataire de service: le client a tout à y gagner. En Amerique, où la compétition fait rage, cet argument marketing est monnaie courante. En fait, dèrière ce procédé lose(to)win séducteur, l'incitation à acheter est grande: essayer c'est l'adopter. [Dans le registre de la persuasion, je comprends mieux le “il faut goûter avant de dire non”de Jacqueline. C'est une sorte de manip. Elle fait croire à Yves Marie qu'il n'est pas obligé de dire oui parce qu'il a le droit de dire non. Et il marche. Ca doit bien marcher avec les enfants, les gens en général en fait, qui ont l'esprit de contradiction. Même hors contexte, ca peut donner l'illusion qu'on est maître de ses décisions. C'est plus difficile aussi de dire non que de dire oui, quand on veut nous vendre quelque chose. En tous cas, condensé dans cette petite phrase presqu'absurde, il semble y avoir presqu' un nouveau paradigme pour Yves Marie]. Appliqué au discours amoureux dans Essaye-moi, l'essai, c'est prendre au pied de la lettre [ et Yves Marie, comme les enfants, est champion à tout prendre au pied de la lettre; c'est aussi un des principaux procédés comiques du film] ce qui est accepté tacitement dans le couple individualiste d'aujourd'hui, appellé union libre (sous des aspects pas toujours mutuellement consentis), générateur d'une certaine instablilité amoureuse.

 

essaye_moi_parentsLe essaye -moi est opposé à la parole donnée/la promesse qui devient obsolète, sauf dans le discours des enfants. Si la promesse est un contrat morale (donc fragile) qui exige que la parole donnée soit honorée; l'essai, en revanche, est un contrat ( peut-être moins fragile, dans essaye moi en tous cas), où c'est justement une morale qui se cherche sans cesse et ne se trouve en fait que dans l'insatisfaction, qui devient sa propre justification, d'où un nouveau cycle d'essais jusqu'à la prochaine insatisfaction. Essayer pourrait même constituer une essaye_moi_parents2obligation morale dans un monde soumis au mercantilisme, puisque s'engager et se tromper pourrait coûter trop cher en termes autant émotionnels que financiers. Mais ça n'est pas là la préocupation de Yves Marie c'est plutot celle des parents (Isabelle Nanty/Wladimir Yordanoff) de 'Queline qui n'ont cure de savoir qui leur fille va épouser pourvu qu'il y ait mariage: ils ont déjà tout payé. On aimerait bien avec Yves Marie qu'amour rime avec toujours; et la question posée dans les paroles, nostalgiques d'une autre époque, de la chanson Love me always insiste bien sur le fait que le coeur balance entre amour toujours et dérive des sentiments:

 

Please, baby, love me always, including today

Is love a feeling that comes and goes or is it here to stay?..

 

 

 

[c'est d'ailleurs une question que Phyl, largué, pose dans Avant Qu'il Ne Soit Trop Tard et à laquelle plusieurs réponses differentes lui sont données par ses amis, traitée dans un autre ton et style.]


 

essaye_moi_vincent_canard1Si l'essai en amour ne garantit pas plus la fidélité que la promesse, en revanche l'essai peut autant angoisser que galvaniser. D'ailleurs Vincent, le fiancé de Jacqueline, qui se croyait protégé par son mariage dans 15 jours et l'apparence ridicule de son rival, en fera les frais, d'autant plus qu' il a librement consenti à ce que Yves Marie le fasse, cet essai. Vincent peu à peu se mettra sur le qui-vive et, dans les scènes parallèles, Yves Marie, parodiant le mari modèle, répondra à l'angoisse de Vincent, par une sorte de sentiment de triomphe essaye_moi_vincent_canard2mêlé d'inquiétude, surtout dans la scène du “cauchemar atroce', qu'il n'a pas fait bien sûr, et qu'il raconte à Jacqueline: “ Tu essayais Vincent. Ca marchait entre vous et tu me quittais pour lui. Non, je rigole.” Peut-on vraiment se laisser aller à aimer dans ce climat permanent de l'épreuve amoureuse? Le procédé comique ( culturel, nous le verrons) de la rivalité entre les hommes, à l'insu l'un de l'autre, semble prendre le pas sur l'amour, même chez Yves Marie.

essaye_moi_vincent_canard3

 


 

 

 

 

 

 

 

 

essaye_moi_les_rivauxAu moyen âge, le fin' amant, l'amoureux, était à la mercie de sa belle pour laquelle il était prêt à accomplir toutes sortes de prouesses jusqu'à la mort s'il le fallait pour lui prouver son amour et sa valeur, mais le summum c'était de ne jamais consommer la belle. Et combien sont morts de soif, litéralement, au pied de la fontaine pour cette belle! Que de masochisme! Il y avait déjà décadence dans ce paradigme amoureux de la Fin'Amor. Est-ce que l'essai amoureux est une autre forme de décadence? Si l'épreuve était toujours essaye_moi_borelli_pereextérieure à la Belle Dame sans Merci, dans Essaye-Moi l'épreuve est la séduction directe de la belle par l'essai. La belle participe donc de l'épreuve en même temps qu'elle participe à l'épreuve (Est-il utile de le préciser: Jacqueline ne veut pas que l'essai soit concluant, ce qui complique un peu les choses). Comme dans les romans de chevaleries (pour faire simple), On a une fois de plus un chevalier au grand coeur, en la personne de Yves Marie, qui tombe à pic pour sauver la Dame du goujat de mari (Kad Mérad, parfait dans ce contre-emploi), seulement essaye_moi_vincent_costumela distance entre la belle et l'amant est beaucoup plus restreinte. Et si le film n'était pas également destiné aux enfants, Yves Marie ne se contenterait pas uniquement de blagues (salaces): il veut respecter le corps de Jacqueline quand elle parle diététique (J.: Ma philosophie de la vie c'est “respecte ton corps”...YM:je suis super content de respecter ton corps avec toi.);ou quand Jacqueline, sous prétexte d'aller faire les courses, veut le laisser “s'adapter au lieu” il répond “ c'est à toi que je veux m'adapter.” Alors peut-être que Pierre-François essaye_moi_JacquelineMartin-Laval, alias Pef, alias Yves Marie Borelli, le gnan gnan, le cucul avec les filles, dixit son père ( le grand Pierre Richard), nous raconte t-il son apprentissage doux-amer de ce nouveau discours amoureux. L'amoureux loyal qui prenait au pied de la lettre les promesses (une promesse c'est une promesse!) comme le petit Firmin qu'il loue pour quelques heures, est devenu un peu plus cynique en grandissant, malgré lui, même si c'est pour la bonne cause: l'amour. A l'innocence de l'enfance s'est substituée une certaine maturité ou Yves Marie apparemment inadapté social sur terre/amoureux vieux jeu, s'adapte au nouveau terrain et fait mouche, alors que le fiancé qui possède fiancée pavillon, voiture “16 soupapes avec cruise control” ne peut, lui, même plus tirer un canard à quelques centimètre de son fusil face au petit Yves Marie. [Bonjour les sous-entendus et les rivalités moyenageuses.] C'est donc peut-être le film d'une revanche, des laissés- pour -compte de l'amour avec cet anti-héro trop sensible, trop timide, trop différent, trop doux dans un monde de brutes auquel l'essai donne pourtant sa chance. Si Jacqueline est quête, conquête et trophé, il n'en demeure pas moins qu'elle n'y perdra pas au change avec Yves Marie. Nous non plus. C'est un film qui, lui, tient ses promesses.


 


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